Né en 1938, et disparu le 10 novembre 2023, Daniel Graffin est un sculpteur français, dont la majeure partie de l’œuvre se trouve à l’étranger. Il se fait connaitre dans le monde de l'art textile par sa participation à la VIème biennale de Lausanne avec ''situation triangulaire'' une pièce qui met fin à tout anecdotisme par son étonnante simplicité. Puis en France par une exposition à la galerie Suzy Langlois en 1974. En 1983 une exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris lui donnera une place prépondérante dans l'aventure textile mondiale. Entre temps il aura exposé à Amsterdam, au Luxembourg, en Suède, et aux Etats Unis
En 1973, il expose « Situation triangulaire », de grandes voiles tissées et tendues du sol au plafond, puis en 1977 des blocs compacts, appelés “Enveloppements debout”, ayant l’apparence de momies sanglées faites de feutre et de toiles de fibranne cousues. Peu de couleur dans ses œuvres. Il utilise essentiellement l’indigo qu'il choisit pour sa neutralité et sa dichroïcité . Le procédé de mise en œuvre de la teinture à l’indigo a pour lui une forte valeur symbolique : l’indigo doit mourir pour renaitre. C’est un végétal en putréfaction qu’on essaye de transformer en minéral. Pour teindre il faut réduire chimiquement le jus qu’on extrait de la plante, c’est à dire lui faire perdre un atome d’oxygène. Alors, il devient soluble dans l’eau et incolore, c’est l’indigo blanc. Quand on trempe le coton dans le bain de teinture, les particules d’indigo soluble se précipitent dans les pores du matériau à teindre et lorsqu’on sort celui-ci du bain, le bleu renait en se ré-oxydant.
Il correspond exactement à ce que doit être la vie pour Daniel Graffin. Ces toiles teintes à l’indigo se veulent dénuées de tout l’affect dont les œuvres textiles sont généralement porteuses. L’apparente richesse du matériau textile le porte à l’obscénité, pense-t-il.
Et c’est pourquoi il combat un temps celle-ci en pliant la toile de façon très méthodique, non pour éviter la matière, mais pour s’affranchir de l’image. Il dit s’être déchargé de toute humanité dans tous ses processus de préparation. Le motif peut être créé par des réserves de teinture, faites par des coutures dont les points restent apparents après le dépliage. D’une série à l’autre, il n’y a pas de rupture parce que tout son travail est un travail sur le vide. Il a exposé avec Sheila Hicks au Musée d’Aix en Provence (Traces et Reliefs, en 1977) et il aura été très présent aux Biennales de Lausanne dans les années 70, puisqu’il est sélectionné pour la 6ième, 8ième et 9ième.
Dans les années 80, il a réalisé de grandes sculptures en toile, se mouvant dans le vent. “En travaillant avec le vent, je peux obtenir des tensions avec des matériaux très légers et des moyens réduits au minimum,” nous disait-il. Il cherchait à faire respirer la sculpture, à jouer avec les aléas du vent, les hasards du temps, par la réalisation de grands cerfs-volants de 20 m de haut. Il veut alors créer des volumes dynamiques et tendus, des sculptures ascensionnelles : les panneaux horizontaux, par leur inclinaison, sont calculés de façon que la structure se lève toute seule. Il continue cette recherche du mouvement par d’autres structures, comme des girouettes en acier et toile.
Puis, aux antipodes de l’éphémère et du jeu avec le vide, Daniel Graffin, à la poursuite de ses racines, se dit préoccupé “d’une mémoire archaïque et secrète (…) C’est dans cette remontée vers les sources de l’humanité que le travail prend racine et paradoxalement, dans cette traversée des formes archaïques que j’ai le sentiment d’être contemporain”. Chacune de ses œuvres, sculpture éphémère ou hiératique, dessin, textile, participe à cette traversée en solitaire d’un art qui interroge le mystère des civilisations. En témoigne “Peinate con mi peine” qui, en novembre 2014, occupe l’espace de la galerie Fatiha Selam à Paris. Graffin aime dire de son travail qu'il le veut profondément
français au sens classique, proche d'un musicien des lumières comme Rameau pour qui l'harmonie est la dominante en musique au détriment de l'anecdote que peut représenter la mélodie.
Le grand schème de l’œuvre de Daniel Graffin est déjà dessiné. Et l’œuvre textile « Sept verticales » présentée au musée Art Moderne, n’est pas en essence étrangère à la sculpture « Peinate con mi peine », d'acier et de bois .
C’est dans sa relation à l’architecture que l’œuvre de DG prend sa dimension spatiale la plus imposante qu’il s’agisse de la sculpture pour l’atrium du Marina Center de Singapore, de celle du Mariott Marquis d’Atlanta, ou des sculptures à vent montrées sur la lagune de Venise pour le 100 anniversaire de la Biennale, inspirées des coiffes des Ambassadeurs dans l’œuvre de Piero della Francesca.
Mais ce qu’il est important de montrer de ce travail c’est la partie la plus intime, celle ou le dessin, le concept initial rejoint la poésie qui sous tend l’œuvre de DG
Pour DG il y a deux types de dessin, l’un analytique, qui quantifie, analyse, structure et pré-voit ce qui pourra prendre forme en trois dimensions. Il est ce qui préside à la création architecturale ébauché et rapide pour déterminer les formes générales, fouillé et lent pour prévoir les articulations des parties constitutives du tout. Il quantifie les masses et les mouvements des sculptures.
L’autre type de dessin opérerait comme une « attention flottante » aux données sensibles. Il explore de manière indécise, il cherche à se mettre en résonance avec ses rythmes les moins apparents ; d’un tracé léger et hésitant, il affiche la mimésis de l’invisible, par tâtonnements et approximations successives, il cherche l’évidence du réel, non par le tracé des ses contours mais en le laissant affirmer son principe formateur.
Il y a donc ici en présence plusieurs aspects du même travail ou plutôt plusieurs étapes qui vont en actualiser tous ses aspects : un dessin d’appel ou (mise en résonance), un dessin analytique, celui qui quantifie, analyse et pré-voit.
Viennent ensuite la sculpture et les grands dessins acryliques puis nouvellement ces gravures qui sont une sorte de dessin/sculpture qui semble vouloir extraire un schème des croquis rapides qui président à leur mise en œuvre.
Cette monographie se propose d'établir un lien entre les différents aspects de ce travail étrange
qui va de l'intime au monumental, mais témoigne toujours d'une attitude poétique de celui que Kenneth White appelle cosmopoèteet du travail duquel il dit dans la préface de la monographie qui lui était consacrée par l’AFAA dans les années 1990: « C’est beau comme la rencontre sur une grève d’un taoïste de l’Ouest et d’un logicien de l’Est, comme le dialogue silencieux entre une vision du vide et la danse, dans l’air et sur la terre de ces dialogues de forces que sont les formes.